RDC | Me Roger Thamba révèle l’incohérence juridique freinant la décentralisation et appelle à des réformes urgentes

Le Centre Wallonie-Bruxelles de Kinshasa a abrité ce vendredi 20 septembre 2024, un échange citoyen sur la décentralisation, organisé par l’ONG belge Echos Communication et l’ONG Initiative pour le Développement Local (IDEL). Cette rencontre a réuni plusieurs participants : des députés, des élus locaux, des Chefs des Exécutifs locaux, de Haut cadres de l’Administration publique, des Gestionnaires des Structures techniques en charge des questions de la décentralisation, des Acteurs de la Société civile et des Partenaires Techniques et Financiers.

Participant à cette réunion, Me Roger Thamba, Expert juriste publiciste et Apprenant au Diplôme d’Etudes supérieures en droit public à l’Université de Kinshasa, est revenu sur les contraintes juridiques de mise en œuvre de la décentralisation en République Démocratique du Congo. D’entrée de jeu, l’orateur a rappelé que la décentralisation était un système et en même temps une stratégie de gouvernance laquelle, en reconnaissant aux entités infra-étatiques l’autonomie de gestion de leurs ressources économiques, humaines, financières et techniques, poursuit bien évidemment certaines finalités.

En effet, la décentralisation assure la promotion de la bonne gouvernance, favorise le développement local et permet l’apprentissage de la démocratie à la base. C’est grâce à la décentralisation que les populations locales participent pleinement à la gestion des affaires locales, en leur permettant d’élaborer les plans locaux de développement, les rendant responsables de la bonne gestion de leurs collectivités et de l’amélioration de leurs conditions de vie. La décentralisation offre également la possibilité aux populations locales de s’exercer aux pratiques de la démocratie en vue d’acquérir une certaine culture politique et démocratique.

L’Orateur est d’avis qu’en RDC la décentralisation s’analyse comme la « seule voie institutionnelle susceptible de relever le défi de la gouvernance du pays » car, depuis l’indépendance du pays, en l’absence notamment d’infrastructures de communication suffisantes, le système centralisé a montré son incapacité à rencontrer les défis posés par l’immensité du territoire.

Analysant le cadre juridique de la décentralisation, ce sur quoi les participants l’attendaient, l’orateur a salué le travail abattu par le Parlement dans l’élaboration de textes nécessaires à la mise en œuvre de la décentralisation voulue par le constituant de 2006. Il a rappelé que la décentralisation résultant de ce cadre juridique était à la fois politique (décentralisation politique ou régionalisme constitutionnel, qui concerne les provinces) et administrative (qui concerne les ETD, à savoir la Ville, la Commune, le Secteur et la Chefferie). Cependant, l’orateur note que ce cadre juridique présente quelques incohérences, notamment en ce qui concerne la décentralisation financière, dans la mesure où la disposition constitutionnelle relative à la retenue à la source des 40 % des recettes à caractère national alloués aux provinces a été torpillée par la loi n°11/011 du 13 juillet 2011 relative aux finances publiques, telle que modifiée à ce jour.

La décentralisation suppose, non seulement le transfert des compétences, mais également le transfert des ressources et des charges. A cet effet, le constituant a bien pris le soin de répartir les compétences entre le pouvoir central et les provinces en ses articles 201, 202, 203 et 204, sans préjudice d’autres dispositions constitutionnelles, et le législateur l’a fait en ce qui concerne les Provinces et les ETD à travers notamment la Loi n°08/016 du 07 octobre 2008 portant composition, organisation et fonctionnement des entités territoriales décentralisées et leurs rapports avec les l’Etat et les Provinces.

S’agissant de la répartition des ressources, la Constitution distingue les finances du pouvoir central de celles des provinces (art. 171), et l’article 175 de la Constitution dispose que la part de recettes à caractère national alloués aux provinces est établie à 40%. Elle est retenue à la source.

De même, le législateur distingue les finances d’une ETD de celles de la province (art. 104 Loi sur les ETD). Et l’article 115 de la loi sur les ETD disposent que celles-ci ont droit à 40% de la part des recettes à caractère national allouées aux provinces.

Mettant l’accent sur la répartition des ressources entre le pouvoir central et les provinces, l’Orateur a noté que la Loi relative aux finances publiques distingue deux catégorises de recettes à caractère national sur lesquelles les provinces ont droit à 40 %, à savoir :

Catégorie A :

Les recettes administratives, judiciaires et domaniales collectées en province ;

Les recettes des impôts perçues à leur lieu de réalisation.

Catégorie B :

Les recettes administratives, judiciaires, domaniales et de participations collectées au niveau du pouvoir central ;

Les recettes de douanes et d’accises;

Les recettes des impôts recouvrées sur les grandes entreprises ;

Les recettes des pétroliers producteurs.

S’agissant du mécanisme de répartition, alors que l’article 175 Constitution prévoit la retenue à la source de 40% alloués aux provinces, la Loi relative aux finances publiques (LOFIP) a presque vidé cette disposition constitutionnelle de sa substance. En effet, aux termes des articles 220 et 221 de la LOFIP, le législateur institue un régime différencié selon la catégorie de recettes, tout en réduisant ce pourcentage notamment en ce concerne les recettes des pétroliers producteurs :

Pour les recettes de la Catégorie A, la retenue des 40% est portée au compte de la province génératrice de la recette, lors du nivellement au profit du compte général du trésor, sur instruction permanente du Ministre ayant les finances dans ses attributions conformément aux prescrits du Règlement général sur la comptabilité publique (Article 220 LOFIP);

Pour les recettes de la Catégorie B, la retenue à la source des 40% s’effectue suivant leur capacité contributive et leur poids démographique au regard des modalités déterminées, conformément à un arrêté conjoint des ministres du pouvoir central ayant les finances et le budget dans leurs attributions respectives (article 221 al. 1er LOFIP)

S’agissant des recettes pétrolières, une allocation de 10 % de la part revenant aux provinces est attribuée à la province productique à titre compensatoire pour réparer notamment les dommages d’environnement résultant de l’extraction.

Par ces dispositions, la LOFIP abrogeait expressément les dispositions de l’article 54 de la loi sur la libre administration des provinces qui avait prévu un versement automatique de 40 % dans le compte de la province et de 60% dans le compte général du trésor, comme mécanisme de la retenue à la source.

Par ailleurs, l’article 218 de la LOFIP dispose que « …l’allocation des recettes au profit des provinces, fixées par la Constitution, tient compte du transfert effectif des compétences et des responsabilités en matière des dépenses. Le pouvoir central peut retenir de la quote-part provinciale le coût des compétences et responsabilités non transférées, dans les conditions définies par une loi de finances » (Article 218, al. 3 et 4).

De même, l’article 6 de l’Ordonnance-Loi n°18/003 du 13 mars 2018 fixant la nomenclature des droits, taxes et redevances du pouvoir central, telle que modifiée à ce jour, dispose que « Toutes les recettes collectées sur les droits, taxes et redevances du pouvoir central sont versées intégralement au compte du Trésor public ».

Comme on peut s’en rendre compte, toutes ces dispositions de la LOFIP et d’autres textes sur les finances publiques ont étouffé dans l’œuf le chantier de la mise en œuvre de la décentralisation, puisque non seulement qu’elles modifient la nature du mécanisme de répartition, réduisent le pourcentage alloué aux provinces pour les recettes des pétroliers producteurs, mais aussi et surtout la quote-part accordée aux provinces est subordonnée au transfert effectif des compétences et des responsabilités (charges), lequel transfert n’a pas effectivement eu lieu.

En effet, au stade actuel, les dépenses liées aux rémunérations et aux investissements sont encore prises en charge par le gouvernement central, laissant à peine aux provinces les dépenses de fonctionnement. C’est donc une sorte de rétrocession déguisée dont parlent les lois sur les finances publiques, et que le Gouvernement central pratique depuis lors, en tenant compte du poids démographique et de la capacité contributive de chaque province, dont les critères d’appréciation peuvent se révéler arbitraire, en l’absence notamment du recensement général de la population. Et donc, sans transfert des ressources et des charges, la décentralisation restera théorique comme elle a toujours été depuis la réforme Vunduawe de 1982, et tous les efforts consentis dans la mise en œuvre de cette décentralisation notamment sous la troisième République resteront vains.

En guise de conclusion, l’Orateur a rappelé que la décentralisation offrait l’occasion d’une remise en cause des conceptions anciennes en matière de stratégies de développement, non seulement en RDC, mais aussi en Afrique en général. Elle remet donc à l’ordre du jour la nécessité de partir du développement à la base pour fonder le développement de toute la Nation congolaise.

D’où, a-t-il recommandé la mise en cohérence du cadre juridique sur la décentralisation, notamment en ce qui concerne la répartition des ressources entre le pouvoir central et les provinces, et entre celles-ci et les ETD. Cette mise en cohérence exige avant tout une volonté politique manifeste. La volonté politique, souvent difficile à obtenir, doit être bousculée par des initiatives individuelles et collectives.

Ainsi, les parlementaires devront-ils tenter par des initiatives législatives d’obtenir la révision des dispositions des lois relatives aux finances publiques qui se révèlent handicapantes.

Les provinces sont encouragées à saisir la Cour constitutionnelle sur pied de l’article 161 alinéa 3 pour résoudre ce conflit de compétences avec le pouvoir central.

A la Société civile et aux Partenaires au développement, d’intensifier le plaidoyer auprès du Gouvernement central pour le transfert effectif des compétences et des charges mais aussi pour la révision du cadre juridique sur la décentralisation financière.

 

Ange ALOKI

Un commentaire sur « RDC | Me Roger Thamba révèle l’incohérence juridique freinant la décentralisation et appelle à des réformes urgentes »

  1. Tant la question de la décentralisation est une question pertinente pour assurer une bonne gestion de l’administration publique pour les ETDs mais aussi le gouvernement central tant il est aussi important de bien exploiter ce concept pour une bonne compréhension comme c’est le cas de cet article, afin qu’il ait son véritable impact tant attendue !

    Mais quelle richesse cet article merci à tous!

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